Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de moi
10 février 2011

Mon petit papa

C'est bizarre comme, depuis sa mort, je le qualifie de petit. C'est qu'il avait l'air tellement petit dans ce cerceuil... il avait l'air tellement petit face à la terrible maladie qui l'a emporté... Cette maladie qu'on a brûlé. Autant de brûler mon papa ça me terrorisait, autant de brûler cette terreur qui remontait jusque dans ses yeux c'était plutôt une bonne idée.

Les derniers jours, il avait la jambe qui tremblait, les poumons qui se remplissaient tant de mucus qu'on avait peur qu'il s'étouffe, une immonde grimace de douleur sur le visage, et une terreur extrême dans les yeux. C'était tellement insupportable que j'ai préféré le voir une fois que c'était fini: un peu jaune et un peu froid.

J'ai préféré cette alternative-là parceque c'était la seule, j'aurais tant aimé qu'il y en ait une autre: Une autre version de la vie, une où il n'aurait pas fumé, où on lui aurait soigné cette saloperie à temps, où il aurait eu le temps de jouer aux légos avec mon fils, où il aurait moins souffert, où ce ne serait pas lui qui serait parti le premier... Un monde où tout le monde aurait le droit de s'éteindre tranquillement dans son sommeil, sans souffrir, et uniquement quand on l'a décidé.

Je ne sais pas bien ce que je vais devenir maintenant. Il ne reste dans ma famille que des gens qui veulent me faire changer, qui ont toujours cherché à me rabaisser et à me critiquer. Il était le seul à m'accepter telle que je suis, à m'avoir toujours comprise, et jamais jugée. Moi qui en ai toujours manqué, je ne sais pas s'il me restera encore une once de confiance en moi lorseque je chercherais son soutien et que je ne l'aurais plus.

A qui expliquer par exemple que je lui en veux d'être parti si tôt, que je suis en colère après lui de m'avoir abandonné ainsi, mais surtout que je suis encore plus en colère après moi de penser des choses pareilles. Je ne peux raisonnablement pas lui en vouloir, lui qui a tant souffert, lui qui a traversé tant d'épreuves sans jamais se plaindre, lui qui aurait tant aimé connaître ses petits-enfants, lui qui aurait fait un grand-père formidable... lui qui avait encore tant de choses à vivre.

A son enterrement on a passé "Mr Tambourine man" de Bob Dylan, parcequ'il adorait cette chanson. Dans le refrain ça dit: "I'm not sleepy and there is no place I'm going to": Je n'ai pas sommeil et je ne vais nul part. Il n'avait pas envie de partir, il n'avait nul part où aller, en tout cas certainement pas dans cette boîte sous cette dalle. Sa place était parmi nous, assis à côté de la cheminée à lire de gros bouquins, à nos côtés à table à faire des grimaces et raconter des blagues, dans la cuisine à mijoter des currys, sur la terrasse à admirer le ciel et répondre aux oiseaux, dans la salle à manger avec son travail interminable, dans le salon avec un casque sur les oreilles et de la musique à fond, en montagne à vénérer le jour où il a décidé de venir habiter dans cette région...

Il y a des choses qu'on croit immuables. Si on savait au moment où on les vit qu'on ne les revivra plus on en profiterait beaucoup plus.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité